LES GEORGES DE LA SIOULE- ch1 Le guichet

Ceci n’est pas une coquille. Puisque je suis sur le point de livrer des éléments personnels de mon histoire, il n’y a pas de raisons pour que je me ridiculise sans vous tailler un petit costard.

D’ailleurs, vous n’êtes pas du tout obligés de vous reconnaître dans les descriptions qui vont suivre, même si tout ce qui va suivre est le fruit d’expériences réelles de saisonniers dans une base de location de canoé kayak (où je bossais essentiellement comme cuistot, cf. épisodes précédents de la saison 1).

Les Georges ( et non les gorges) c’est vous, c’est moi, c’est nous. Les « Georges », sont les pioops de base, ces touristes en tongs-chaussettes armés de bob ricard, les membres couverts d’une épaisse couche de gras censée les protéger du soleil.

Le George est un individu grégaire. Vous lui mettez deux piquets, un cordon : il fait la queue, en trépignant, une main sur la CB, l’autre les lunettes qu’il réajuste toutes les 10 secondes. S’il est en groupe, il masque son angoisse en faisant des blagues de merde jusqu’à ce que vienne son tour au guichet, où là commence le festival :

– Bonjour, ce serait-possible de faire du canoë ?

Vous crevez d’envie de lui dire : Non mais par contre je ferai bien un mini golf avec ta copine.

-Il y a de l’eau ?

Non non, c’est de la pisse qui coule. Suivante

-Elle est comment ?

Elle est bonne, comme ta femme. Suivante

-Il est long le parcours ?

Yep, comme ma B…

Et c’est pas trop dur ?

Bah si comme ma b…

D’accord. J’ai un enfant qui ne sait pas nager, c’est pas grave ?

Bah si tu veux le noyer, c’est ton problème. Il y a plus grave…

Non mais je veux dire c’est pas risqué ?

Soupir. Avec ta gueule et ton QI, je pense que tartiner une biscotte est déjà très risqué. il y en a qui ont essayé…

Bon, ok. Mais alors, on part d’où, j’ai pas très bien compris…

C’est bien ce que je disais. Donc, vous partez d’ici après qu’on vous ait équipés, sans pagayes c’est pas foliche, foliche. Des gilets aussi, vu le gabarit je vous en mets deux autour de chaque jambe… Puis vous descendez la rivière, et vous vous arrêterez au premier pont, où l’on vous attendra pour vous ramener jusqu’ici.

Mais euh…

Ouh là, ça y est, il a bugué !

-… il n’ y a pas d’autre pont avant ?

Comment dire… au premier pont vous vous arrêtez, comme c’est le premier, il n’ y en a pas d’autre avant.

-… Ah ok, ok. D’accoooord, tu vois chérie, c’est ce que je t’avais dit, il y a pas d’autre pont avant. Mais euh…

Ouhïaïaeïaïe, il m’en reste encore deux cent cinquante pioops comme celui-là. Qu’est- ce qu’il va nous pondre.

-…La rivière… elle fait une boucle ?

Combo ! YOU WIN.

[Aparté : Contrairement à ce  que l’on pourrait penser, ce type de questions n’est pas du tout rare. J’ignore comment l’humanité en est arrivé à ce degré de stupidité mais, force est de constater, que les esprits se sont eurodysneïsés. Ils sont dans un parc d’attraction les gens. Ils ont quitté le monde de la raison en même temps qu’ils ont pris leur RTT. Vous vous doutez bien que c’est trés difficile de garder son sérieux, et de répondre aimablement sans perdre son sang froid. On reprend.]

Non non pas de boucle, on viendra vous chercher à l’arrivée. Si vous y arrivez. Là je vais vous donner votre équipement, et ensuite vous pourrez descendre à l’embarcadère vers mon collègue qui vous donnera votre embarcation et les instructions. Mais d’abord, je vais vous demander de signer cette petite décharge et de me laisser une pièce d’identité ou vos clefs de voiture comme consigne.

-Quoi ? A non non, je signe rien moi. Ah bon, c’est obligé ?

Oui.

-Mais par contre je vous laisse pas les clefs. Pas fou moi.

Vous préférez les perdre, avec vos tongs et vos lunettes ?

-Oh oui on me la déjà faite hein. On le connaît le coup des clefs !

—————————————————- Pause vidéo—————————————————–

Celui-là, vous intentera un procès parce qu’il aura perdu ses clefs dans quatre heures.

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C’est vous qui voyez… Suivant !

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Rétro…projection

Compte rendu de l’étude de Terrain, menée par B.M sous la direction de M.B, novembre 2011-fèvrier 2012, état du quintanaroo, Yuc- Mexique

Mesdames et messieurs, bienvenue à bord du vol 64759 b92-25Cr-Zbx28, le commandant de bord ainsi que son équipage vous souhaite un agréable voyage. La température à l’extérieure de l’appareil est à – 28 degrés, la pression atmosphérique est drôlement  très haute comme vous pouvez l’imaginer. Hum…

Si vous désirez vous désaltérer, manger un bout avant de crever d’angoisse de vous écraser, la compagnie Air Prout met à votre disposition des micro bières de 2.5 cl, et des mini sandwich dépuratifs pendant toute la durée du voyage.

C’est bon Régis on les a perdu, ils dorment tous ! Balances les photos !

Ch. 1 : Une Aventure Inoubliable !

Les georges

Comme vous pouvez le const… – WAIT –

Régis qu’est-ce que c’est ce bordel !? Tu m’expliques ! c’est quoi ça? Combien de fois je vais te le dire qu’il n’y a pas de rivière au Yucatan. Faut qu’on soit crédible un peu…

Que je parle des Georges de la Sioule ? (soupir). C’est pas le moment. Sérieux, ça fait 5 ans que je les fais poireauter pour un compte rendu de 4 pages …  Quoi ? Ils peuvent bien attendre encore 5 minutes. Bon, bon…

Mesdames et Messieurs, Ladies and gentleman, welcome à bord de la camionnette toute fraichement révisée de 1983, qui transportera vos mignonnes petites fesses de pioups vers THE Throats of The Sioule.

On dit pas throats pour les gorges ?

Le terrain

Bon, je crois qu’on a fait le tour des cuisines. En même temps, la pièce est tellement réduite, que l’on en fait assez rapidement le tour.

Vous êtes prêts à continuer ? Le Suspens n’est pas trop insupportable, ça va ? Vous êtes bien assis ? Allez chercher une bière, posez vous làààà. On respire.  En même temps, si vous m’avez suivi jusque là, c’est que vous êtes un peu maso…curieux, et aussi que je narre incroyablement bien ce qui d’ordinaire…

Oui bon j’arrête. Donc, où en sommes nous ?

Le monde universitaire,  les cuisines. Ah oui le terrain ! ça c’est bien ça LE TERRAIN. Alors, il faut que j’explique pour les néophytes. Le terrain de l’anthropologue ce n’est pas celui du joueur de foot-rugby-tennis…et en même temps si, (ok j’arrête de dire en même temps). Le « Terrain » c’est l’endroit que vous avez choisi pour étudier le truc que vous voulez étudier, ok ?

C’est votre terrain de jeu. De jeu oui, car il faut prendre cette discipline comme un véritable sport de combat. Oui car vous risquez réellement de perdre une dent, deux,voire la vie si vous n’êtes pas prudent. Sport extrême donc. Et puis le terrain ( je vous conseille l’excellent ouvrage de Nigel Barley, l’anthropologue en déroute) c’est un peu le Graal des chercheurs. Un anthropologue qui n’a pas fait de terrain c’est un yacht suréquipé qui reste à quai toute sa vie.

On ne peut pas prétendre savoir ce que pense le papou sans en avoir rencontré un. Mieux, on ne peut pas prétendre savoir ce que pense le papou si on n’est pas papou. Pour devenir papou, il faut parler papou, manger papou, s’habiller papou, éviter les relations sexuelles toutefois. Se fondre dans la masse des papous puis, plus dur, revenir au monde des pas papous.

Quand vous êtes thésard, vous avez trois ans pour devenir un papou, disons cinq si vous passez sous le bureau du directeur de l’école doctorale, ou que vous êtes consciencieux, studieux, dévoué, et que vous passez sous le bureau… Bref, c’est impossible, il faut une vie pour devenir papou.

Mes papous n’étaient pas des papous mais des mayas. là je vous voit faire un bond et vous dire QUOI ? Comment ça ? Qu’est-ce qui dit ?

Oui, oui, oui. vous avez bien lu, les mayas n’ont pas disparu. Ils sont des centaines de milliers à vivre et parler-penser maya. « Oui mais ce ne sont pas des vrais mayas, génétiquement blablabla » De la merde, on vous a mis dans le crâne qu’ils avaient disparu avec leur civilisation, et que c’était un des plus mystérieux mystères de l’Histoire…

Effectivement, ils ont changé de mode de vie. Mais ils sont toujours présents. Et à présent, je vous invite pour une séance rétroprojection dans la salle B-209 de la MSH du TED.

Régis, musique rétro ringarde steupl !

Souvenirs-souvenirs

Les bons et les pas bons

Bien, à présent je vais pouvoir vous raconter mon périple chez les mayas, à moins que…non, attendez j’en vois qui ronflent.

Ok… bon… je vous saoule c’est ça ? Très bien, puisque c’est comme ça sortez une copie double…

Non je déconne, mais vous allez devoir attendre un peu. De toute façon, quasi personne ne me lit, donc je fais ce que je veux, et puis, j’ai encore deux ou trois petits trucs à régler avec les cuisines.

Et ouais… je fais ce que je veux, et si ça vous raidit la frisouille ou que ça vous défrise le radis, c’est pareil Ok ? ( private joque)

Donc, je voudrai que le client qui est en vous comprenne une (ou deux) chose, ceci afin qu’il se mette bien à la place du trou de balle qui n’existe pas et qui réalise son plat tandis que lui patiente devant un pastis bien tassé, ou un « sex on the bitch » trop sucré.

Je sais, je sais, quand vous venez au restau, vous êtes les rois. Rois de ce ce royaume qui commence sous votre nez et s’étend jusqu’au bas de votre dos, petit royaume mais que vous aimez remplir à votre guise. Soit.

Je passe en mode Clint Eastwood, ( Régis mets nous petite musique Western ravioli steupl) « Dans la vie, il y a deux sortes d’hommes… »

ceux qui acceptent  que le monde ne soit pas toujours en adéquation à leurs attentes, et les autres, ceux qui veulent que le monde se plie à chacune de leurs exigences. Les casses-couilles.

Ces derniers justifient leur caprice par le fait qu’ils payent. Ils ont la tune, alors tu fermes ta gueule, et tu fais ce que je te demande, pensent-ils.

En vérité, ils n’ont aucune conscience de ce qui se trame derrière les rideaux, et… ils s’en battent les roubignolles. Sauf qu’en coulisse, il y a deux ou trois couillons, qui doivent répondre aux attentes de dizaine d’autres connards qui pensent exactement de la même manière qu’eux.

Ça c’est la première chose qu’il faut bien comprendre, vous n’êtes pas seul au monde ! Oui ! il y a d’autres casses-cou…clients, et car or donc lorsque vous et votre petite tablée de potos affables passez  la commande, il faut vous dire que celui qui va la recevoir doit la comprendre ( normal, bon, vu que c’est pas du Kant, en général ça se passe bien) et la mémoriser, hum hum …

Eh oui, mais or car ce n’est pas tout. Mais oui tiens donc, figurez vous cette simple chose que ce n’est pas le cuistot qui prend la commande mais la serveuse (ou le serveur). Le cuistot n’est en rien responsable de l’absence totale d’esprit de synthèse de la serveuse.

Attention ci suit une méchante parenthèse qui risque d’être indigeste.

( Le client n’y est pour rien MAIS quand même, il voit bien qu’il a à faire à une blonde, ou à un roumain… donc, s’il est perspicace, et souhaite gagner du temps, il peut préparer un peu les réponses, si possible en évitant les sempiternelles blagues de merde, du  genre « -En dessert vous prendrez quoi ? – La serveuse hahaha« …  Exemple, quand on lui demande la cuisson, ce serait sympa qu’il ne sorte pas des trucs comme « bien cuit mais pas trop »– soit c’est bien cuit, soit c’est saignant ou à point, sachant que c’est un sacrilège de manger une viande autrement que bleu ou saignante… Il y a des benêts qui pensent que « bien cuit », c’est bien cuit, c’est à dire qu’ils pensent que les autres cuissons correspondent à « mal cuit »; le monde n’est pas binaire bordel de Zeus; du coup, ils se plaignent quand on leur envoie une semelle. Bien cuit =  putain de semelle = aucune saveur, pas de jus, walou + MDI ( mastication à durée indéterminée).)

Je m’explique, imaginons une tablée de dix potos, qui veulent tous des burgers. Sachant qu’il existait là où je bossais, 4 types de burgers comprenant chacun deux steacks Hé. Dix burgers = 20 steacks. Ok, maintenant, je vous laisse choisir la cuisson : Bien cuit, à point, saignant, bleu; soit 4 cuissons. Un petit choix de plus pour la sauce : bleu, marocaine, blanche, moutarde, poivrée, soit cinq sauces. Et pour finir l’accompagnement, frites, frites/salade, ou salade. Jusque là, tout va bien, je vous laisse calculer le nombre de possibilités que ça représente.

C’est le jeu, OK. Par contre, quand un client (vous) demande je vais prendre un cheeze mais sans tomates, et son copain tout pareil mais sans oignons (ça fait péter), et moi uhn cheez mais sans fromage, sans oignon et avec un supplément poil de cul…. Le cerveau de la serveuse ou du roumain, fait un premier bug. Il écrit le bon tant bien que mal. Souvent très mal. Ce qui peut donner des trucs complètement ahurissant dont je n’arriverais jamais à vous donner la teneur … qui au final arrivent en cuisine, où là, se passe une chose incroyable : COMPRENDRE LE BON pour SE REPARTIR LES TACHES.

Car, tenez le vous pour dit, celui qui fait cuire les steaks, les pains, n’est pas le même que celui qui prépare les frites, salades/sauces… je passe sur les tartine et autres pidz, et tout le toutim.

Donc, pour faire court, moins vous personnaliserez votre assiette, plus vous gagnerez du temps. Je me rends compte des lacunes de mon texte pour faire passer le message, il faudrait un court métrage pour rendre compte de la très  très haute connerie de la situation.

J’ai tout de même vu des clients demander des « salades auvergnate » sans salades, des pidz chorizo dont l’assiette revenait avec les chorizos… Ce qui, franchement, à la longue, fait douter sur l’éventuelle existence d’une Raison humaine, d’un sens critique ou quoi que ce soit. En réalité, tout se passe comme si les gens éteignaient leur cerveaux comme on éteint le poste de TV, lorsqu’ils passent à table.

Bah laissez tomber ce que je viens de dire,

Enjoy your meal 🙂

La calzone ou l’allégorie du chausson

Avant d’entrer dans l’underground, je voudrai rendre intelligible l’univers des cuisines, à la sauce Platon.

Figurez vous une demeure souterraine, totalement close et dont l’unique ouverture serait un petit rectangle d’une coudée de haut pour deux coudées de large.

-C’est une bien étrange demeure que tu nous décris là !

Oui ! A présent, figurez vous des hommes qui viendraient à l’entrée de cette caverne, remettre des petits billets aux prêtresses de ce temple, dans l’espoir de voir leurs souhaits se réaliser.

-Aaaaaah !

Bien ! Imaginez-vous la chose ainsi, les fidèles glissent le billet à l’une des prêtresses, celle-ci disparaît par une ouverture secrète, se glisse dans l’antre, en sort par la même ouverture, puis se plaçant devant la petite fenêtre, en ressort le souhait sous sa forme matérielle : un plat.

-Oh ! Quelle merveille tu décris là !

Eh bien figures toi que cette merveille n’est point si éloignée de notre réalité. Car or donc, ce temple, étant dédié à Pantagruel, seul les souhaits honorant la gloutonnerie se voient exaucés. Inutile d’exiger un nifaune, ou autre tablette… (il est préférable de se rendre aux temples des cons sots mateurs pour ce genre de requête).

-Dommage ! J’ai toujours rêvé de surfer sur le ouaib…

Soit. A présent que vous vous figurez correctement ce temple, demandez-vous ceci, quel souhait ne pourrait  pas ne pas être satisfait et en même temps provoquer la fureur de ce dieu qui dans le secret réalise toutes vos attentes ? Et surtout, pour quelles étranges raisons ce souhait, qu’il ne peut refuser, l’effarouche au plus haut point ?

– Mais c’est un paradoxe que vous énonciates !?

Vous restez pantois hein ? Alors, laissez-moi vous initier au très grand secret du haut temple du grand ventre… Figurez vous que l’antre n’est pas vide mais qu’il contient en son sein quelques petites mains que d’aucun nomment silènes, ou satyres, génies… Ces petits êtres outre la particularité d’être plein d’astuces, sont à l’image de leur demeure : Creux. Oui, ce sont des êtres creux. Mais dans le secret de leur ventre, est déposé la sagesse des dieux antiques. Ces mêmes dieux qui, dit-on, pour se jouer de ces petits génies, inventèrent un jour qu’ils s’ennuyaient, probablement pour se distraire, une savante ruse afin d’obliger les génies à concevoir un plat à l’image de leur temple, et donc, à l’image d’eux mêmes ! Vous saisissez ?

-J’ai bien du mal à voir où tu désires en venir mon ami !

C’est pourtant fort simple ! Les génies se voient dans l’obligation d’offrir aux dieux un met à leur image, autant dire, un sacrifice. Les dieux, un peu sadiques, veulent honorer la gloutonnerie par la gloutonnerie. Courroucés, mais dans l’obligation d’honorer leur devoir à l’égard des dieux, au nom de leur dieu, les génies se creusèrent la tête. Tant et si bien, qu’ils en éprouvèrent un grand vide. Leur appétit disparut quasi totalement, tous souffraient atrocement du petit creux d’estomac.

C’est alors, que se frottant la panse, l’un d’eux eut l’idée géniale, de concevoir une pidza qui aurait l’air d’un chausson creux, mais, qui en réalité serait tout à fait pleine de tout ce qu’il été possible de mettre dedans !!! Nom de ZEUS !

Et c’est ainsi que fût découvert la CALZONE !

En dehors de ses qualités roboratives, la calzone possède l’étrange faculté d’énerver les petits génies du temple. Car en effet, ces derniers souhaitant toujours la remplir au maximum, à l’image de leur ventre, c’est avec la plus grande difficulté qu’ils parviennent à la hisser sur leur pelle à pidz pour la jeter dans la gueule de leur fourneau sans qu’elle ne s’éventre et ne s’évide sur la pierre de cuisson, provoquant des fumées, et ralentissant la réalisation de tous les autres souhaits !

Ainsi, le petit génie de s’écrier « OH NON PAS LA CALZONE » (dans sa version sobre) quand l’adorateur innocent remet à la sympathique prêtresse du temple un petit billet sur lequel figure le nom de ce plat, à leur image, délicieux mais impossible à réaliser sans souffrir l’angoisse de le crever. Soupir

C’est la vérité, la très grande et très noble vérité, et je n’en connais pas d’autre. A présent, changeons d’ohrizon, pardon d’eau riz on, non… avec un Hasch, Horizon ! Voilà…

Au bout du rouleau

J’ai terminé ma dernière saison (2014)  au bout du rouleau, seulement je le tenais encore ce rouleau, et j’ai senti que j’étais à deux doigts de le coller sur la tronche de mes partenaires.

Décidément j’aurais tout vu : Le faux-calme, le vrai énervé, le oui-oui, le balourd, et le pire de tous le fourbe, celui qui collectionne tous les défauts : polytoxicomane, érotomane, menteur, lunatique, tricheur, mauvaise foi, pinailleur, glandeur. LE Béber !

Le oui-oui est facile à décrire, il dit oui à tout mais ne comprend que le quart de ce que vous dites. Ce qui donne lieu à des surprises, mais pas longtemps. A la fin, on anticipe en ne lui faisant plus aucune confiance.

Le faux-calme (moi) fait le zouave pour détendre, il a toujours un petit mot pour détendre l’atmosphère, jusqu’au moment où il ne l’a plus. Celui-là est  potentiellement très dangereux.

Le vrai énervé, pas de problème, vous savez qu’il va péter un plomb, et ce à chaque service. Il va taper, gueuler, jeter des ustensiles et faire la tronche puis se taire.  Ce silence ne va pas sans poser quelques problèmes.

Le balourd n’est pas cuistot de formation. C’est un éléphant dans un magasin de porcelaine. Il ne sait pas où sont rangés les ustensiles et se voit donc répondre des « dans ton cul » en permanence. Il ne sait pas où se mettre, ce qui lui vaut des « bouge ton cul » perpétuels. Et il est maladroit, ce qui se traduit par « ce sera retenu sur ton salaire. »

Quant au Béber ! C’ est un concentré de connerie à l’état brute, un mélange indigeste de sauce tomate, de base blanche et de sauce au bleu. Il peut plomber un restau  à lui tout seul. Bien souvent, le Béber est de la partie: il a tout vu, tout fait, on ne le la lui raconte pas !

D’entrée, il se présente comme l’homme de la situation, ecce homo ! … pour peu à peu se révéler comme l’entrave absolue : celui qui impose un contrôle permanent en détruisant la confiance qu’un patron peut placer en ses employés, le boulet. Il vient avant tous les autres employés pour mieux tricher sur les heures ; il repart avant tout le monde; il choisit ce qu’il sait faire et ne sait pas faire, refusant les taches ingrates comme sortir les poubelles. Il écrase sans pitié tout ceux qu’il estime être inférieur à lui (selon une échelle qui le prend pour mètre étalon) alors que lui-même est une sous merde. Il passe son temps au téléphone. Il la joue grand prince avec les clients « Salut tu vas bien? hahaha hohoho ». Ça le met en totale confiance, et du coup il n’hésite pas à sortir pendant le service en tenu de combat pour se mettre à l’entrée et reluquer les clients de la tête au pied, tout en reniflant d’une narine (héritage de son passé de cocaïnomane).

Celui là peut vous planter en plein de milieu de la saison, comme l’énervé, mais il est sadique, il prendra le temps de vous faire flipper : Viendra… viendra pas. Chaque jour est un pari pour demain. J’adore travailler avec des gars comme ça.

Quand j’ai su que je ne trouverai pas d’autres boulot que les cuisines en 2014, j’ai compris que  mon cursus doctoral était fini. C’était trop. En octobre de la même année, après avoir découvert le métier de cueilleur et d’herboriculteur (en travaillant dans une ferme chez des voisins), je me suis levé un beau matin d’automne, j’ai regardé l’horizon et me suis dit que ma voie était ici, là, maintenant.

Ici sont mes racines, et je veux les cultiver. Rien d’autre.

Mais finalement, cette voie, ne l’avais-je pas découverte sans m’en rendre compte quelques mois auparavant ?

« ON N’EST PAS LA POUR TRILLER LES LENTILLES ! »

Ah ça non mon couillon. Dans ce boulot, il faut savoir faire plusieurs choses en même temps sans se jeter partout. Économiser son énergie devient vital après quelques heures de services. Comme on est toujours debout à piétiner, il faut trouver les bons gestes, pour ne par crever l’œil au voisin, pour ne pas se brûler, se couper, s’ébouillanter. C’est un des plus hostiles univers qui soit. Une vraie jungle, où la pâte à pidz devient un black mamba, l’huile des frites, une pluie acide et les serveuses des amazones sans merci.

Évidemment dans ces conditions, peu de personnes sont aptes, et parmi celles qui le sont, encore plus rares sont celles qui tiennent le coup. En cet endroit, il me faut dire un mot du personnel. Sans balancer, je voudrais exprimer mon sentiment vis à vis des rapports que j’ai pu tisser dans ce cadre là.

Comment dire…dans ce genre de travail extrême, on parvient très vite à des états limites. Toutes les conditions sont réunies pour vous rendre agressif, hyper tendu… Le point de rupture devient de plus en plus proche avec le temps. C’est un travail qui use les nerfs sur le long terme. Je suis parti avant de commettre l’irréparable, en honorant mon contrat, ce qui n’ a pas toujours été le cas de mes collègues.

J’ai vu des mecs qui étaient de la partie se comporter comme des lâches, des couards, des faux-culs. J’ai vu des mecs qui n’étaient pas de la partie se comporter de manière beaucoup plus humbles. Le caractère, à la base joue un rôle important, mais l’usure aussi. Certaines personnes sont rincées et ça ne se voit pas toujours, quoique je ne me sois jamais trompé dans mes premiers jugements. C’est juste navrant de faire confiance en une personne et de se faire lâcher au beau milieu d’une saison. Quand on est trois, on est trois, il n’y a pas de remplaçant. Et pourtant, il a fallu en trouver des remplaçants. Les conducteurs qui conduisaient les touristes et les canoës nous ont parfois sorti de la mouise. Vous auriez du voir ça, un colosse d’un mètre 90 pour cent dix kilos, perdu entre deux gueulards capable d’envoyer cent cinquante couvert en un coup de feu. J’ai jamais rien vécu d’aussi éprouvant.

C’est très important pour moi de témoigner de cet univers car je trouve qu’aujourd’hui, les gens n’ont quasiment aucun respect pour ces travailleurs qui sacrifient tout pour quelques dollars. Six jours sur sept, souvent plus de dix heures par jour, parfois entrecoupé par une pause durant laquelle on est juste bon à dormir, et durant laquelle on rêve qu’on fait des tartines… Les mots, les attentions envers les cuisiniers sont très rares, trop rares.

Je travaillais dans de bonnes conditions, dures mais supportables. Vous seriez d’ailleurs très surpris de voir à quel point le corps humain est résistant. Nos facultés d’apprentissage sont également impressionnantes : mémoire, organisation, dextérité. C’est une excellente « école », elle m’a beaucoup apporté.

Le plus éprouvant pour moi furent les relations humaines. Depuis mon enfance, j’ai pris l’habitude de désamorcer par le rire les situations de conflits. Je pensais pouvoir tout endurer mais un jour j’ai compris que j’avançais vers un point que j’étais sur le point de franchir. A la fin, je rêvais la nuit que je jetais les plats au travers du passe plat. La situation s’était renversée, je n’en tirais plus rien. J’ai donc renoncé à travailler plus longtemps dans ce monde là.

Qui plus est, il y avait la thèse, et à ce rythme là, il m’aurait fallu quinze ans pour la réaliser. Aujourd’hui, vu que j’ai tout lâche, il me faut comprendre et revenir sur mes pas. L’abandon des cuisines, au-delà du rythme de travail, fut également motivé par les relations avec les collègues.

Le passe-plat

Passer plus de dix heures par jour dans un espace réduit à une dizaine de mètre carrés, équipé de machines faisant monter la température ambiante de 15 degrés Celsius, avec un, deux, voire trois hommes complètement surchauffés, est un exercice, vous vous en doutez bien, agréable et qui inévitablement développera votre sens du Zen.

Eh bien, imaginez maintenant que je sois le génie des cuisines, et que je vous donne la possibilité de faire un vœu ! Un seul vœu. Votre réponse sera, non pas de transformer les cuisiniers en gentilles cuisinières car de toute façon elles deviendraient hystériques au bout de 15 minutes, ni même d’obtenir une chambre froide ou des frigos qui refroidissent, vraiment je veux dire, votre vœu le plus cher ce sera : un passe plat !

Pour milles raisons. La première : les allées venues des serveuses seront désormais limités aux seuls bons de commandes (les fameux bons). Quand vous êtes trois dans dix mètres carrés, c’est appréciable. La seconde, last but not least : c’est tout votre univers qui respire, vous avez désormais une fenêtre sur le moooonde, petite certes, mais c’est une ouverture sur l’ extérieur. Car oui ! en dehors de votre trou à rat, il y a des gens qui vivent et devinez quoi! Oui, ce sont eux qui viennent pour manger ce que vous préparez. Oui ! Vous allez enfin pouvoir les apercevoir, les épier, surveiller leurs réactions du coin de l’œil. Quoi ? ça vous mets la pression, vous vous sentez surveillé, mais nooon, vous n’avez pas compris ? Ils viennent pour MANGER; ils n’en ont rien à carrer de vos tronches de malfrats malodorants; ce qui compte pour eux, c’est ce qu’ils ont dans leur assiette et le temps que cela va prendre entre le moment où ils auront commandé et le moment où la gentille serveuse leur amènera le tout sur un plateau.

Vous êtes libre bon dieu ! Enfin non… vous êtes… un peu comme dieu en fait, vous regardez les gens sans qu’ils vous voient. Vous avez tous les pouvoirs sur eux…enfin surtout celui de recommencer et de fermer votre gueule quand ils ne sont pas satisfaits de votre œuvre. Ce qui par rapport à Dieu est un inconvénient je vous l’accorde mais ne me faites pas dévier…

Le passe-plat est votre trou noir de l’espace. Il a le pouvoir d’arrêter le temps. Il englouti vos créations les unes après les autres, comme un gros glouton. Bien sûr je vous vois venir, eh oui puisque je suis derrière le passe plat, vous vous dites que le passe plat ne fonctionne bien que si les serveuses font correctement leur job. Et… vous n’avez pas tord !

C’est vrai, les serveuses sont les archanges des cuisines. Ceux sont elles qui relient le commun des mortels aux dieux que vous êtes. Ceux sont elles qui vous délivrent les messages, dits « bons ». Ceux sont elles qui portent, bras tendus vers les cieux, vos œuvres, que dis-je, vos hors d’œuvres. Ceux sont elles qui tel l’archange Lucifer, le porteur de lumière… vous trahissent et vous pourrissent le service en un claquement de porte battante, en un « bon » incompréhensible et/ou illisible, additionné d’un « ta gueule connard ». C’est pourquoi il faut les chérir, et ne pas trop les insulter à travers le passe plat.

Car oui, si le passe plat est une échauguette par laquelle vous pouvez lancer vos flèches sans jamais être touché, c’est aussi une terrible béance dans laquelle vos propos,  pas toujours aimables, trouvent un chemin pour le monde extérieur. Ils pourraient vous nuire car il faut bien reconnaître que le client n’est pas toujours ravi, lorsque seul dans le restau, il vient à discerner un vague  « Y NOUS FAIT CHIER CE CON » suivi d’un « JE VAIS TOUT LUI METTRE DANS LA GUEULE A CETTE … ».

Le cuisinier que j’étais, avait un don pour la formule. Un héritage de mon court séjour en management sans doute. Je voudrais conclure l’épisode passe-plat par un proverbe de celui qui, n’ayons pas peur des mots, était  mon guide non spirituel dans cet univers de brute :

Le four du bas

Ne jamais oublier le four du bas. Celui où on colle les tartines sur des plaques de cuisson en acier, par quatre, ce qui nous fait entre 12 et 16 tartines. Quand on ouvre ce four aprés l’avoir oublié pendant disons 5 minutes. On obtient du charbon, fumant, pas franchement présentable. Un « Putain tu fais chier Binouze! » (c’est mon surnom). La pression remonte d’une coup, tout est à refaire. Vous regardez sur le frigo des saladettes, les bons de commandes qui s’ajoutent inexorablement. La serveuse vous jette un sourire en coin, l’air de dire, bien fait pour ta gueule, connard. T’avais qu’à me causer correctement.

La première année, quand je dormais après le boulot. Je rêvais que j’étais devant le four, et que quand je l’ouvrais, les plats me sautaient au visage, j’étais assailli, débordé, agressé. C’était le début. J’étais un commis. On était trois dans dix mètres carrés. La tension pouvait monter en un quart de four, pour un oui, pour un non, pour un « ta gueule connard ». Les casseroles, les poèles, les pidzs parfois volaient. Et s’écrasaient au dessus de mon épaule, pour retomber dans l’évier. Tandis que je récurais les gamelles, ou ma pelle à pidz couverte de fromage fondu.

Au bout de quelques années, on décida de créer un truc qui allait complètement révolutionner notre travail, notre cuisine fût équipée de l’ élément le plus emblématique de toute bonne cuisine qui se respecte…

Le four du haut

Pendant ces quatre années de cursus doctoral, j’ai financé mes recherches en travaillant comme saisonnier en cuisine. Cela m’occupait quatre à six mois par ans, disons d’Avril à Octobre.

Je faisais cela chez des amis de longue date qui avaient acheté une station de location de canoë-kayak, il y a de cela une quinzaine d’années. Je précise cela pour que vous compreniez quel était mon cadre de travail. C’était plutôt… agréable, disons qu’en comparaison de mon brancardage estival de 2003, lors de la canicule, je voyais cela comme des vacances. J’avais tord. Encore une fois.

Après quelques jours de service, je fis mon premier cauchemar culinaire. Pour que vous vous fassiez une idée claire, car je pars du principe que vous n’avez jamais mis les pieds dans une cuisine, il faut vous figurez les choses ainsi :

Poussez la porte battante blanche pleine de trace de doigt, petit couinement, suivi d’une vague de chaleur qui vous saisit, vous découvrez une pièce de 3.5m de large par 5m de long dans laquelle se trouve immédiatement sur votre gauche une énorme poubelle, suivie d’un évier double bac allu, suivi d’une machine à laver encastrée; tournez la tête de 45 degrés sur la droite vous pouvez admirer le compartiment saladette, celui qui permet à tout bon pizzaiolo de se saisir de tous les ingrédients une fois qu’iol se souvient de l’endroit où ils sont rangés ( pâtes, sauces, épices, herbes, condiments, fromage…) sous laquelle se trouve un marbre sous lequel se trouve quatre frigos; vous faite demi- tour, attention ne vous brûlez pas, c’est le piano, non pas celui qui fait de la musique mais celui qui est doté de quatre feux disposés par deux autour d’une plaque en fonte qui monte à 250 degrés; pivotez la tête sur la gauche, ce truc en allu double bac avec des paniers, c’est la friteuse, deux fois dix litres, cent quatre vingt degrés celsius; tournez un peu plus encore à gaucheet alors là attention les yeux :

C’est moi ! Oui moi, le commis, devant le double four juste à côtés des friteuses, avec une pelle à pizza entre les mains, de la sueur qui coule de mon front et me picote les yeux. Allez démonstration ! j’ouvre le four du haut, 350 degrés. Vous sentez ? C’est chaud hein ? ça vous plaît ça ! Poussez-vous, s’il vous plaît. Je dégaine. La pelle vient vite sous la première « pidz« , je recule d’un pas, le manche de la pelle aussi. Si vous trainez derrière, vous le prenez droit dans la gueule. Je penche la pelle d’un geste rapide et précis sur l’assiette sans bord. Voilà comme ça.  Pas trop vite sans quoi elle finit par terre. Ça arrive, ça arrive, oh pas à moi bien sûr. Deuxième pidz, ah oui j’ai oublié il y en quatre par four, la deuxième est une campagnarde, voyez comme elle dégueule de fromage. Rappel : nous sommes en Auvergne. L’auvergnat aime le saint-Nectaire et… les patates. La campagnarde en plus d’être la pidz la plus indigeste qui existe, est la plus fourbe, car trop garnie en fromage. Or, quand du fromage dégueule d’une pidz sur une pierre de cuisson chauffée à 350-400 degrés, que-se passe-t-il ?

Il fond, et brûle quasi instantanément. Votre pidz se colle sournoisement, en effet le fromage fondue attache à la pierre tandis que votre pelle se glisse d’un geste infiniment rapide précis et  concis comme une maxime de Larochefoucaut que vous récitez en verlan, vient d’un coup buter et littéralement scalpée votre « campe » (le petit nom de la campagnarde). Le fromage fondue qui tombe sur la pierre a un autre avantage, si j’ose dire, avant de s’enflammer, il dégage de la fumée. La sueur vous piquait les yeux, les émanations de fromage brûlé, vous prive de la vue. C’est parti pour une fournée en aveugle !

Il reste encore deux pizzas au fond, la première refroidie, la deuxième est à moitié détachée, à moitié en train de crâmer, les deux du fond prennent une méchante couleur marron foncé. Il vous faut vite trouver une solution, mais calmement. Vous inspirez un bon coup, sans penser à la chaleur du four qui est en train de foutre le camps, un petit coup à gauche, un petit coup à droite. C’est bon ! Fiouououo, c’était moins une ! Bon, une pidz à refaire, c’est pas grave allez !

Vous vous y jetez, en espérant que votre maladresse sera bien prise par vos camarades, dont le chef, qui lui est devant le piano, en train de serrer les dents et de se demander ce qu’il fout avec des étudiants en philo dans une cuisine. En une minute c’est bon, l’erreur est réparée. La tension redescend gentiment…

Vous pouvez être fier de vous ! Vous avez réglez le problème, alors secrètement vous vous congratulez intérieurement, vous êtes à deux doigts d’une érection, et tandis que vous regardez sur le marbre, celui qui est sous le four, vous réalisez qu’il y a quatre autres assiettes. Vides…

Les tartines…